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Aider un bébé à apprendre à parler
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Posté par adminkok le 08 janvier 2021

Laurence Rameau, puéricultrice formatrice et auteure d’ouvrages sur la petite enfance, créatrice de la pédagogie Itinérance Ludique

L’apprentissage du langage ne peut se faire que dans les interactions sociales. Si un bébé n’a aucune relation sociale, il n’apprend pas à parler et présente en plus de nombreux autres déficits. Cela a été observé dans des pouponnières où des bébés étaient abandonnés dans leur lit sans aucune autre relation qu’un nourrissage rapide. C’est le cas également dans des situations graves de maltraitance de type enfant du placard ou du coffre. Ce sont des cas extrêmes et terribles. Dans une situation normale, le bébé apprend à parler parce qu’il entend parler, parce qu’on lui parle et parce qu’on sollicite sa parole. Les interactions sociales directes sont celles qui réunissent toutes les conditions pour qu’un bébé apprenne facilement et correctement à parler. Ainsi, il peut apprendre le chinois si une personne lui parle directement et souvent en chinois. Mais il n’y arrivera pas en regardant cette même personne parler chinois sur un écran ou simplement en l’entendant parler chinois. Les programmes vidéo ou audio d’apprentissage des langues ont toujours échoué avec les bébés. C’est dire si cet apprentissage est implicite et se déroule dans un contexte relationnel. Ainsi, on comprend pourquoi les inégalités sociales des familles peuvent avoir des répercussions importantes sur l’apprentissage de la langue, lorsqu’elles concernent la pauvreté intellectuelle et culturelle.

Apprendre deux langues en même temps

À l’inverse, croire qu’un bébé va apprendre une langue étrangère grâce à l’intervention, une fois par semaine, d’une conteuse qui raconte des histoires et chante des chansons dans une autre langue est une fausse piste. Cela peut éventuellement servir à se donner bonne conscience ou à vendre un projet, selon la place de chacun, parent ou professionnel, mais c’est inefficace en termes d’apprentissages d’une autre langue. Les chercheurs ont évalué que pour apprendre une langue spécifique le bébé devait au moins passer 30 % de son temps baigné dans cette langue. Un bébé qui fréquente une crèche dans laquelle la langue parlée par les accueillants n’est pas la même que celle qu’il entend à la maison apprend à parler les deux langues, avec les bons rythmes, les bonnes intonations et le bon vocabulaire de l’une et l’autre langue, si elles sont parlées correctement. C’est ce qui se passe dans une crèche KoalaKids dans laquelle une professionnelle est irlandaise et parle donc aux enfants dans sa langue natale.

Constituer une bibliothèque de vocabulaire

Tous les bébés n’ont pas cette chance, mais apprendre correctement une seule langue est déjà un avantage. Cet apprentissage est particulièrement attendu car de nombreux travaux de recherche ont montré que le niveau de langage d’un enfant en fin de période de bébé, entre 2 et 3 ans, est un indicateur prédictif de réussite scolaire. Un retard de langage et une connaissance appauvrie en vocabulaire sont des éléments qui risquent d’entraîner des difficultés d’apprentissage de la lecture, qui occupe une place prépondérante dans tous les autres apprentissages. Lorsqu’un enfant apprend à lire, il doit se concentrer sur le signe écrit et le rapprocher du mot qu’il signifie. Si ce mot existe dans sa mémoire, que l’on peut qualifier de bibliothèque interne, il le comprend et peut le reconnaître. Mais si ce mot est inexistant, il tourne en rond ! Le langage constitue un fondement de la préparation aux apprentissages scolaires et donc à leur réussite. Aujourd’hui, les études s’accordent pour énoncer trois facteurs favorisant l’apprentissage du langage chez le bébé : la disponibilité des adultes à parler avec le bébé, la lecture régulière d’histoires et le matériel ludique approprié. 

Parler avec le bébé

On comprend ainsi que parler au bébé et avec le bébé, et pas uniquement du bébé à une tierce personne, est une première orientation éducative favorable au développement de son langage. Certes, il n’est a priori pas forcément évident de parler à une personne qui ne répond pas encore. Mais un bébé a besoin de cette « étrange » conversation et l’adulte s’aperçoit vite qu’il répond à sa manière par ses vocalises ou son babillage, indiquant ainsi qu’il comprend qu’on lui parle, et qu’il participe déjà à la conversation. D’ailleurs, il est remarquable de constater que le bébé saisit à quel moment la phrase de l’adulte se termine, sans doute grâce à l’intonation et à la prosodie. C’est le moment qu’il choisit pour babiller et répondre, il prend son tour de parole, comme il le faisait auparavant avec les gestes ou les postures.

Mais de quoi parler avec un bébé ? De ce qui le concerne et l’intéresse : les personnes qui se trouvent autour de lui, son environnement, ses jeux, ce que l’on ressent pour lui et ce que l’on perçoit de ses propres ressentis, la manière dont il cherche à se mouvoir, ses intentions, ses actions, les expérimentations qu’il fait avec les objets qu’il a en main. L’ensemble de ses activités ludiques sont des supports de langage importants. Un bébé qui tente depuis un moment de faire entrer une grosse boîte dans une plus petite a un problème à résoudre. Il suffit que l’adulte lui dise qu’il voit à quel point il s’évertue à essayer et que cela ne fonctionne pas, que la grosse boîte ne rentre pas dans la petite, mais qu’il a raison de le tenter car il faut bien vérifier. Il peut lui dire également son admiration quant à sa persévérance et ses efforts. Ces propos non stigmatisants soutiennent le jeu du bébé, comme l’ensemble de ses apprentissages, tout en l’enveloppant dans un bain de langage adapté.

La bonne musique des mots

Pour autant, un bébé ne comprend pas tout ce qui lui est dit. Il saisit la mélodie et l’intention de l’adulte sans comprendre réellement les mots et les phrases. C’est un peu comme à l’opéra : nous regardons le spectacle et comprenons ce qui se passe sans vraiment décoder les mots chantés, mais nous nous laissons porter par le plaisir de la mélodie qui nous touche et fait sens pour nous. Lorsqu’un adulte parle à un bébé, il le touche, l’affecte, comme s’il lui donnait de l’affection. C’est ainsi que l’adulte obtient l’attention du bébé à travers ses paroles. Puis, la hauteur de voix, la répétition des mots et des phrases, le sourire et le regard maintiennent le bébé en éveil : il absorbe les paroles et apprend. Dans la mesure où cet apprentissage est implicite, il est important de toujours parler correctement à un bébé. L’adulte peut varier son vocabulaire, même s’il est compliqué, car il intéressant d’offrir de nombreux mots au bébé et il n’est pas nécessaire de tout simplifier. Il convient de bien formuler les phrases et d’utiliser les bonnes constructions avec les bons déterminants. Par exemple, pourquoi dire à un bébé : « Maman va te donner à manger » ? Il n’a pas besoin de cette phrase pour comprendre qui est « maman », il le sait déjà. Mais il a besoin d’apprendre la bonne formulation en français qui est : « Je vais te donner à manger.» Il en est de même pour « viens me voir » et non « viens voir papa ». Lorsqu’il commence à dire des mots, même s’il les déforme, il est important de ne pas le reprendre directement en lui demandant de répéter le bon mot. Pour le moment, il fait des essais et a besoin d’entendre la bonne prononciation au détour du langage et non comme une leçon qui signifierait qu’il ne fait pas bien. Par exemple, lorsque le bébé dit « to » pour avoir un gâteau, on peut lui répondre : « Tu es en train de me demander un gâteau, n’est-ce pas ? » Cela lui permet d’entendre le mot énoncé correctement, tout en lui signifiant qu’il a été compris, ce qui est très positif et l’aide à poursuivre ses efforts de langage.

La place du livre dans l’apprentissage du langage

Lire des livres à un bébé est devenu une activité courante et il existe un grand nombre d’éditeurs spécialisés et d’ouvrages conçus pour eux. Il est toujours intéressant de constater à quel point tous les bébés se passionnent pour les livres. L’ensemble des professionnels de la petite enfance lisent des livres aux bébés et fréquentent les bibliothèques pour petits ou font intervenir des bibliothécaires ou des lecteurs sur les lieux d’accueil. Le livre est devenu un objet incontournable de cette période de la vie et c’est bien heureux. Pourtant, il est bon de rappeler que, pour un bébé, un livre est avant tout un objet de découverte comme les autres. Il n’est pas un objet sacré représentant le savoir, qu’il ne faudrait pas toucher mais seulement regarder, avec lequel il conviendrait de ne pas jouer pour ne pas l’abîmer. Un bébé découvre tous les objets de la même manière, c’est à dire par leurs caractéristiques physiques avant de voir leurs intérêts et fonctions, et le livre n’y échappe pas. Si l’adulte pose des limites et des obligations, l’objet perd de sa valeur puisqu’il n’est plus possible pour le bébé de le découvrir. Il est donc préférable de commencer par proposer des livres cartonnés, bien solides, de tailles différentes, que le bébé peut manipuler à sa guise. En le tournant et le retournant dans tous les sens, en le soupesant, en le reniflant, en le suçant un peu aussi, il découvre que cet objet offre des pages à tourner, des images à regarder et qu’en plus l’adulte lui raconte des histoires avec ; cet objet parle au travers de l’adulte ! Il devient alors fascinant, fantastique et le bébé ne peut que l’aimer. Petit à petit, il comprend qu’il se passe quelque chose de différent avec cet objet livre. Lorsqu’il y a un livre, sa relation affective avec l’adulte est plus proche qu’avec n’importe quel autre objet ludique, le plaisir est commun et l’intérêt plus grand. Le bébé commence alors à demander la lecture. Il apporte des livres à l’adulte et s’installe sur ses genoux pour un moment de tendre apprentissage.

Faire vivre le livre

Souvent, on constate que pendant un certain temps il souhaite toujours lire le même livre. Ce livre lui plaît, c’est évident, mais pas seulement. Le bébé a besoin de répétition pour apprendre. Lorsqu’il lit le même livre, il vérifie que les mots sont à la bonne place, que l’histoire est toujours la même et il prend beaucoup de plaisir d’une part à anticiper la suite qu’il connaît déjà et d’autre part à vérifier qu’elle se réalise comme il l’avait prévu. Il faut accepter de lire le même livre plusieurs fois d’affilée et plusieurs jours de suite, et surtout ne modifier ni l’histoire ni la lecture des mots. Lire ce qui est écrit est indispensable pour ne pas se tromper les fois suivantes. De plus, en suivant l’écrit avec son doigt, l’adulte pointe les signes correspondants à son discours. Cela indique à l’enfant qu’il existe un langage écrit qui correspond à la lecture. Lorsque le bébé connaît bien le livre, on peut lui demander ce qu’il sait de l’intrigue, ce qu’il en pense ou ce qui va se passer. Très petits, les bébés aiment montrer où est chien bleu [1] sur la page, pourquoi le petit lapin pleure [2] et ce que fait la petite poule rousse [3] avec son sac de grains de blé. Cette participation à la lecture l’incite au langage en lui donnant la parole et permet de constater à quel point il comprend et suit l’histoire. Car un livre n’est pas exactement fait pour endormir un bébé, même si on consacre souvent un temps de lecture rituel avant le coucher. Ce rituel est un repère rassurant pour un bébé, mais la lecture d’un livre nécessite et provoque son éveil, ce ne sont pas des [4] mots qui endorment comme une berceuse, mais un échange langagier dans lequel le bébé gagne à être actif. Il l’est si l’adulte lui en donne la place et l’occasion dans ces échanges autour du livre lu. Ces mêmes échanges se retrouvent dans les lectures d’imagiers . Ces derniers sont importants pour permettre au bébé d’engranger du vocabulaire. Ils doivent être simples et ne présenter qu’une seule image par page, avec un objet ou un animal et le nom écrit. Ainsi, le bébé n’est pas perdu. Chaque jour une partie de l’imagier peut être consultée et lorsque le bébé connaît le nom de l’objet, il a beaucoup de plaisir à le dire à la place du parent. Sur cette période, le bébé peut apprendre énormément de mots de vocabulaire qui lui serviront plus tard. De plus, en s’arrêtant sur certaines images, l’adulte peut demander au bébé si cet objet existe dans la maison, où il se trouve, si c’est le même ou pas, d’une autre couleur ou d’une autre forme, etc. Faire vivre le livre est la meilleure façon d’intéresser un bébé.

Livre Comprendre votre bébé de Laurence Rameau

Vous souhaitez en savoir davantage sur votre bébé ? Découvrez Ce livre, "Comprendre votre bébé", édition First 2020, de Laurence Rameau, Directrice Petite Enfance au sein du réseau Kangourou Kids & Koala Kids, qui vous donne des astuces et des explications pour décrypter votre bébé.

  1. Nadja, Chien bleu, Paris, École des loisirs, 1989.
  2. Mühle Jörg, Sèche tes larmes, Petit Lapin !, Paris, École des loisirs, 2018.
  3. Barton Byron, La Petite Poule Rousse, Paris, École des loisirs, 1993.
  4. L’imagier du Père Castor (éditions Flammarion) reste la référence en la matière.