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Portrait de adminkok
Posté par adminkok le 21 mai 2019

Laurence Rameau, puéricultrice formatrice et auteure d’ouvrages sur la petite enfance, créatrice de la pédagogie Itinérance Ludique 

Apprendre à parler se fait « naturellement », pour peu que l’environnement langagier du bébé soit riche et propice à cet apprentissage. 

 

Une professionnelle me faisait remarquer récemment que les imagiers que nous utilisons à la crèche proposent parfois des mots compliqués ou des représentations éloignées de l’univers quotidien des enfants. Par exemple, le mot « clocher », désignant le clocher d’une église, pouvait ne correspondre à rien pour certains enfants. De ce fait fallait-il continuer à utiliser ces imagiers ou bien les simplifier ou les circonscrire à l’environnement connu des enfants ?


Pour répondre à cette question il faut revenir à la façon dont les enfants apprennent à parler, à l’intérêt du langage, au vocabulaire et, au final, au développement de l’enfant sur la question du langage. 

Comment le bébé apprend-il à parler ? 

Le bébé, car oui il s’agit d’un bébé, apprend le langage, avant de parler. Tout commence par les sons qu’il entend dès sa période fœtale, dans le ventre de sa mère, et qu’il continue d’entendre après sa naissance. Ces sons forment une sorte de symphonie musicale harmonieuse qui l’enchante. Et, même s’il ne comprend pas encore la signification des mots et des phrases, il semble en comprendre le sens, l’intention, particulièrement lorsque cela s’adresse à lui.

Tous les sons l’intéressent, y compris ceux des autres langues, qu’il est capable de discriminer jusqu’à à peu près huit mois. A cet âge, il commence à ne plus être capable d’entendre tous les sons, tous les phonèmes de toutes les langues, et c’est heureux, car ainsi il se concentre sur les sons de sa langue familiale (avant l’on disait maternelle), ou de ses langues familières, celles qu’il entend régulièrement. Cette concentration lui permet de commencer à discerner les mots dans les phrases, ceux qui reviennent souvent, ceux qui se placent toujours les uns à côté des autres, ceux qui se trouvent à coté de mots déjà repérés. Ainsi il apprend sa ou ses langues. 

 Il apprend déjà les mots, avant de savoir parler

Par la régularité des phrases et des mots entendus, il commence à apprendre à la fois le vocabulaire et aussi la grammaire des phrases. Parallèlement, il gazouille, babille, vocalise des sons syllabiques (pa, pa, pa, ta, ta, ta, ma, ma, ma) pour essayer sa voix et explorer le langage. On parle alors de phase pré-linguistique. Déjà ici, plus le vocabulaire qu’il entend est étendu, plus il y a de choses à explorer… Et, alors que ce qu’il émettait comme son semblait jusque-là incompréhensible, vers 18 mois, 2 ans ou plus tard, le bébé commence à dire des mots, plein de mots, de plus en plus de mots et des phrases avec de plus en plus de grammaire. C’est la phase d’explosion du langage pendant laquelle, chaque jour le bébé est capable d’apprendre de très nombreux mots.

Que ces mots soient faciles ou non, qu’ils correspondent à des objets qu’il a déjà rencontrés ou pas, importe peu. Il emmagasine le vocabulaire avec facilité et aisance, comme si son cerveau était préparé à cela et particulièrement disposé à le faire, à cette période propice de sa vie, entre 2/3 ans et 4/5 ans. Il sort alors de sa période de bébé pour entrer dans celle du petit enfant qui possède le langage. 

 A quoi sert tout ce vocabulaire ?

Lorsqu’il rencontre tous ces mots, le petit enfant les stocke dans sa mémoire. On pourrait dire qu’il les range dans sa bibliothèque interne. Cela est plus facile pour lui, lorsqu’il les rencontre assez fréquemment. Ainsi les imagiers, qui proposent des mots avec les images correspondantes, souvent des photos, permettent à l’enfant d’emmagasiner du vocabulaire dans sa bibliothèque interne. Lorsqu’il rencontrera ce mot, plus tard, à l’occasion de son apprentissage de la lecture, dans des livres ou des histoires, il le retrouvera dans sa bibliothèque, le reconnaitra, le comprendra, et pourra apprendre facilement à le lire dans la phrase car ce mot correspondra à quelque chose pour lui.

A l’inverse, les mots non rencontrés dans la petite enfance seront compliqués à apprendre à l’école car ils ne sont pas accessibles dans la bibliothèque interne de l’enfant. L’enfant aura beau fouiller dans sa bibliothèque interne, il ne trouvera pas le mot en question et tournera en rond, sans le comprendre et donc sans pouvoir l’apprendre avec facilité. Il devra donc faire des connexions qui ne sont pas encore présentes et cela occupera son cerveau, l’empêchant d’apprendre à lire tout de suite. De ce fait, il y a déjà une différence entre les enfants qui ont du vocabulaire et ceux qui en ont peu, ou pas encore assez. 

Le langage sert la pensée

Nous ne devons pas laisser l’enfant connaitre trop peu de mots. Quel que soient les mots qu’il rencontre dans sa famille, les professionnels de la crèche peuvent lui apporter des nouveaux mots. L’enrichissement du vocabulaire de l’enfant doit être un objectif pédagogique des équipes de crèches comme apport supplémentaire aux apprentissages de l’enfant. Pour en revenir à cette professionnelle qui s’interrogeait à propos du mot « clocher » (d’église), elle a tort de penser que cela ne sert à rien d’apprendre ce mot. Tous les mots sont utiles. Et plus les enfants ont de mots, plus leur langage est fourni, plus ils apprennent non seulement à bien parler, (et plus tard à bien lire et écrire), mais aussi à bien penser. Apprendre un mot c’est commencer à se représenter ce qu’il signifie, même si l’enfant n’a pas encore rencontrer l’objet en question.

En effet, le langage est un outil parmi d’autres qui permet aux humains de communiquer, mais il est aussi et surtout la base de la pensée humaine et le vecteur du partage de cette pensée. Réfléchir, dire ce que l’on a dans la tête, ce qui est invisible ou inconnu et partager cette réflexion avec d’autres, voilà à quoi sert aussi le langage. Avec le langage on peut ajouter des mots de grammaire pour exprimer ou nuancer sa réflexion et celle des autres.

Apprendre des mots, des phrases, cela permet donc de penser et de partager sa pensée avec les autres, leur donnant alors aussi l’occasion de penser. Si on utilise le langage uniquement pour communiquer ce que l’on voit, ce que l’on connait ou ce que l’on ressent, alors nous n’avons pas besoin du langage, nous pouvons utiliser des signes. Le langage est, lui, le chemin de la pensée, de la représentation du monde. Il s’apprend et se structure pendant le temps du bébé. De ce fait il nous faut soutenir les activités langagières. 

Les activités langagières des crèches Koalakids

Les équipes de crèches doivent donc développer des propositions d’univers langagiers à destination des enfants. Sachant que cet apprentissage est implicite, comme tous les apprentissages des jeunes enfants, c’est en termes d’environnement et donc d’univers ludiques à proposer aux enfants qu’il faut réfléchir et non en ateliers de travail de type scolaire. 

Des univers autour des livres 

  • Des livres avec des images de type imagiers pour permettre aux enfants d’apprendre le vocabulaire et le rapport entre le signe de l’image et le signe de l’écrit.
  • Des livres avec des histoires écrites qui comportent un début, un milieu et une fin pour permettre aux enfants d’apprendre la notion de déroulement historique.
  • Des livres avec des images sans histoire écrite pour permettre aux enfants de solliciter leur imaginaire.
  • Des livres ayant des formats et des matières différentes pour solliciter la découverte sensorielle qui est souvent à la base des apprentissages des jeunes enfants.

Rappelons ici que les livres sont appréhendés par les bébés en premier par leurs aspects sensoriels et par l’étude de leurs caractéristiques physiques. Ce sont des objets ludiques comme les autres. C’est-à-dire que le livre est un objet tout court, avant de devenir un objet intéressant dans un rapport affectif avec l’adulte, et enfin un objet de plaisir, de culture et de savoir dans un rapport relationnel avec les autres.

Des univers autour des chansons

  • Des comptines pour permettre aux enfants de jouer avec la répétition des mots, des rythmes et des rimes et ainsi mobiliser leur mémoire. 
  • Des berceuses pour permettre aux enfants de s’apaiser par les mots, pour apprécier leur douceur et les apprendre comme rituels sécurisant.
  • Des chansons pour permettre aux enfants de danser, de sauter, d’utiliser leur motricité pour apprendre les paroles et jouer entre le langage du corps et celui de la parole. 
  • Des chansons à gestes pour permettre aux enfants d’apprendre à coordonner leurs mouvements avec les paroles. 

Attention car pour apprendre à parler l’enfant a non seulement besoin d’entendre les sons, les intonations et les phrases, mais il est aussi très attentif aux mouvements de la bouche et au placement des lèvres d’où les sons proviennent et qui lui indiquent comment faire. De ce fait les adultes qui lui chantent des chansons sont plus efficaces en termes d’apprentissages que les chansons provenant d’appareils.

Des univers autour des images 

  • Des images à collectionner pour permettre aux enfants d’apprendre les notions de catégories de similitudes et de différences. 
  • Des images à manipuler pour permettre aux enfants d’apprendre du vocabulaire dans un sens plus libre que les livres imagiers. 
  • Des images à manipuler pour permettre aux enfants d’inventer leurs propres histoires et ainsi d’apprendre à solliciter leur imagination autour des mots. 
  • Des projections d’images ou d’histoires par vidéo pour permettre aux enfants d’apprendre les mots dans des interactions plus collectives. 

Des univers autour du théâtre

  • Des Kamishibaï (petit théâtre japonais sur papier permettant de raconter des histoires) pour permettre aux enfants d’assister à des représentations où les paroles et les images font sens pour former des histoires à écouter et à regarder. 
  • Des marionnettes avec ou sans théâtre utilisant des personnages pour raconter des histoires ou pour faire vivre les chansons et permettre ainsi aux enfants d’apprendre les mots en se concentrant sur les personnages et en les faisant vivre lorsqu’ils peuvent aussi les manipuler.