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Laurence Rameau, puéricultrice-formatrice et auteure d’ouvrages sur la petite enfance
Un temps de familiarisation à la carte, selon les disponibilités des parents et selon leurs choix permet de sécuriser le bébé.
« Ce n’était pas évident pour nous ! Mais c’est tellement mieux pour les enfants et leurs parents ! » est la phrase prononcée par la professionnelle d’une des crèches Koalakids à propos du changement de l’une des pratiques professionnelles, celle de l’accueil et de la préparation des nouvelles familles et donc de l’entrée des nouveaux bébés à la crèche.
En effet, dans les crèches Koalakids de Rennes (Rennes-Fréville, Rennes Horizons, Rennes Nord) nous avons demandé aux équipes de modifier leur habitude concernant l’arrivée des bébés à la crèche. L’idée était de remettre en question la fameuse obligation de période dite « d’adaptation » préétablie et identique pour tous les enfants. A la place nous avons proposé aux parents de choisir la façon dont ils souhaitaient que leur enfant entre et se prépare à la crèche. Ils ont pu décider de venir sur des périodes courtes ou longues, de rester ou non avec leur enfant, de partir et de revenir quand ils souhaitaient, de commander un repas pour leur enfant dès le premier jour ou d’attendre quelques jours avant qu’il mange à la crèche, en présence ou pas de ses parents, idem pour le sommeil.
Auparavant, après un entretien avec la directrice pour régulariser l’ensemble des papiers, les parents avaient une « feuille de route » annonçant la manière dont devaient se dérouler les débuts de leur bébé à la crèche, c’est-à-dire la période d’adaptation. Ils arrivaient à la date prévue, en sachant qu’ils restaient avec leur petit un temps donné, avant de repartir avec lui. Puis, le lendemain, ils confiaient leur enfant aux professionnels mais revenaient pour assister à son premier repas à la crèche. Le surlendemain ils le laissaient un peu plus pour sa première sieste à la crèche et, en fin de semaine, le bébé faisait ce que l’on appelle une petite journée à la crèche. Au bout d’une semaine à 15 jours la période d’adaptation étaient considérée comme terminée et l’enfant était censé être adapté à la structure !
Ceci était une erreur de départ, car c’est à la structure de s’adapter à ce nouvel enfant en recherchant de quelle manière répondre au mieux à ses besoins. Mais faire autrement semblait difficile aux professionnels qui pensaient qu’une période d’adaptation était nécessaire pour le bébé, comme pour les parents et pour eux-mêmes. Pour les parents, il apparaissait clairement que si cette période avait été réfléchie ainsi par des professionnels, c’est bien parce que ces derniers savaient ce qu’ils faisaient et donc ils intégraient plus ou moins la nécessité d’une telle organisation, présentée comme salutaire pour leur bébé. Bref il y avait peu de remise en question sur cette pratique, avec une erreur de base qui consiste à croire que les jeunes enfants s’habituent mieux aux évènements qui se déroulent progressivement.
Toutes les recherches sur le développement de l’enfant montrent que les bébés cherchent à comprendre le fonctionnement du monde d’une manière spécifique. Ils établissent des statistiques à partir des invariants qu’ils perçoivent et déterminent les limites de ces régularités. Ainsi si le déroulement d’une journée est identique le jour suivant et celui d’après, alors ils peuvent comprendre que leur environnement est ainsi fait. Ils en concluent que cela va se reproduire à l’identique. Or, si chaque jour on ajoute ou on retire des évènements, alors ils ne peuvent pas tirer de conclusions et ne peuvent pas anticiper ce qui va leur arriver, comment cela va se passer pour eux. Ils peuvent être perdus et doivent se sécuriser autrement.
Souvent les professionnels pensent que les parents ne savent pas comment faire. Et il est vrai que certains parents demandent comment procéder. Ils veulent toujours ce qu’il y a de mieux pour leur bébé et recherche des conseils. Les professionnels ont parfois peur que ce nouvel enfant qu’ils ne connaissent pas leur soit confié du jour au lendemain, et que cela les place devant une difficulté qu’ils interprètent alors de manière négative : « les parents nous laissent leur bébé sur les bras et maintenant il faut qu’on se débrouille alors qu’on ne le connait pas ! ». Mais le travail professionnel c’est bien d’apprendre à connaître cet enfant qui va construire ses interactions en fonction des personnes qui vont s’occuper de lui. En bref, cet enfant ne sera pas le même avec ses parents et avec les professionnels. De fait, autant faire confiance aux parents, en pensant qu’ils font ce qu’il y a de mieux pour leur enfant et choisissent ce qui lui convient le mieux. Une maman peut avoir envie de rester avec son bébé à la crèche pour l’accompagner et voir comment cela se passe pour lui. Une autre maman aura peut-être du mal à rester car cela lui est difficile d’envisager que d’autres personnes s’occupent de son bébé. A chaque parent de décider en fonction de sa propre personnalité et aussi de ses propres impératifs familiaux et professionnels.
Les professionnels peuvent penser à tort qu’une entrée sans période d’adaptation est risquée et il convient sans doute de rechercher quel risque encourent l’enfant, le professionnel ou les parents, si cette période n’est pas respectée ?
- Un traumatisme lié à une séparation jugée insuffisamment pensée ou mal organisée ?
Mais la séparation s’apprend sur le long terme et non en une semaine !
- Des pleurs inconsolables ?
Mais les professionnels sont là pour trouver comment apaiser cet enfant !
- Une difficulté à comprendre cet enfant et à répondre à ses besoins ?
Mais pour ça aussi il faut du temps, une semaine c’est bien trop court !
- Des parents insécurisés ?
Mais ils le seront bien plus s’ils subissent au lieu de choisir !
- Des professionnels qui ne connaissent pas encore l’enfant ?
Mais apprendre à se connaître prend du temps et représente tout l’objectif d’une familiarisation !
Il y a tant de raisons pour obliger les parents à faire ce que les professionnels ont décidé !
Pourtant travailler à l’accueil des familles, c’est ouvrir la porte et non l’entrouvrir. Il faut faire confiance aux parents en leur proposant de réfléchir à la manière dont ils aimeraient organiser l’entrée de leur enfant à la crèche et en répondant à l’ensemble de leurs questions à ce sujet. Eux seuls savent ce qui est bien pour leur enfant et attendent des professionnels un réel soutien, c’est-à-dire être pleinement accueillis quelle que soit la manière choisie, longue ou courte durée de présence, matin ou après-midi, avec ou sans repas, avec ou sans sieste, avec ou sans doudou, etc. C’est ainsi que nous sécurisons les parents, sans les déposséder de ce choix qui leur revient. Et c’est ainsi que les bébés ressentent aussi cette confiance naissante entre les parents et les professionnels.
Depuis septembre 2018 les équipes de ces crèches se sont fait violence pour renverser l’ancien paradigme et proposer aux parents d’organiser, à leur manière, l’entrée de leur bébé à la crèche. En effet, qui mieux que des parents peuvent savoir comment faire ? Rapidement ou lentement, en restant ou en partant, à quel moment, sur quelle durée, après quelles recommandations ou quels rituels de réassurance, etc… Il n’est donc plus question ni de période ni d’adaptation, mais d’entrée à la crèche avec ce temps de familiarisation, possible mais non défini préalablement par les professionnels. Un temps pendant lequel la famille et l’équipe apprennent à se connaître, au rythme des parents et aussi de l’enfant qui sait se faire entendre et comprendre si besoin. Il fallait s’essayer à la confiance. C’est-à-dire faire confiance aux parents, se faire confiance, avoir confiance en ses collègues, et surtout avoir confiance en chaque enfant pour lequel le monde est nouveau et à apprendre.
Il y a eu Jad. Sa maman qui est restée longtemps et a dit vouloir faire la sieste avec lui. Les professionnelles de la crèche se sont demandé ce qu’elle voulait exactement. Dormir avec lui ? Mais le lit est un peu petit non ? Finalement elle est restée l’endormir pour le plus grand bonheur de Jad.
Il y a eu Paul dont le grand frère avait fréquenté une autre crèche. Ses parents ont souhaité refaire la période d’adaptation progressive, comme ils l’avaient apprise pour son frère aîné. Et cela a parfaitement convenu à Paul.
Il y a eu Maël dont la maman a pris son temps, l’emmenant sur des moments courts sans repas, avant de tenter l’aventure de laisser les professionnelles de la crèche lui donner son premier repas. Ce temps a permis à Maël et à sa maman d’expérimenter petit à petit, la crèche et la séparation, avant le grand saut.
Il y a eu Louison qui est arrivée du jour au lendemain à 7H30 du matin. Comme elle ne venait que les lundis, ses parents ont pensé que le premier lundi 7H30, c’était une bonne idée. La professionnelle, un peu inquiète car c’était le jour de la réouverture de la crèche, après les congés d’été, l’a accueilli avec le sourire et beaucoup de bienveillance. Et tout s’est très bien passé pour Louison.
Il y a eu aussi Liam, qui est aussi arrivé du jour au lendemain car se maman infirmière ne pouvait pas faire autrement. Et Liam a mis quelques semaines à se sécuriser avec les professionnelles de la crèche. Il réclamait sa maman et pleurait beaucoup. Est-ce que cela aurait été différent s’il avait eu une période d’adaptation ?
Nous ne le savons pas pour lui. Mais nous savons qu’il y a toujours des enfants qui ont besoin de temps pour se sécuriser à la crèche, avec ou sans période d’adaptation !
Les professionnels disent aujourd’hui « Ce n’était pas évident pour nous au début, mais nous constatons que cela se passe bien pour les enfants, pour les parents aussi et pour nous, au final, cela revient au même : il faut apprendre à connaitre cette famille … ! »
Chaque arrivée d’une nouvelle famille est une nouvelle aventure pour les professionnels de la petite enfance. Il est impossible de présager le temps qui sera nécessaire à cette familiarisation, à l’établissement de cette confiance réciproque, base d’un partenariat en construction. Mais nous pouvons être certain que ce dernier s’établira plus aisément si nous sommes capables de faire confiance aux parents en nous dégageant d’un dogme comme celui de la période d’adaptation préétablie par les équipes.
En conclusion, ce qui convient à un bébé qui entre à la crèche, c’est que les équipes suivent le souhait de ses parents. Et donc c’est bien à chaque professionnel de s’adapter à une nouvelle famille.