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Laurence Rameau, puéricultrice formatrice et auteure d’ouvrages sur la petite enfance, créatrice de la pédagogie Itinérance Ludique
L’alimentation bébés ne se résume pas à une question de santé. Pour eux, il s’agit d’une véritable aventure sensorielle.
De tout temps l’alimentation des bébés a été interrogée, encadrée, conseillée par les spécialistes, pédiatres, nutritionnistes, diététiciens ou puéricultrices. Et si l’on se penche sur les pratiques ayant eu cours aux différentes époques de notre société, on constate que cette « puériculture » a été et reste sans doute très impactée par les modes et autres revirements qui, même s’ils sont énoncés comme scientifiques, n’en demeurent pas moins changeants et aléatoires, en fonction des représentations de ce qui prime au niveau sociétale ; l’alimentation étant un fait hautement social et pas uniquement biologique.
La diversification alimentaire en est un exemple flagrant. Non seulement l’âge du début de cette alimentation plus variée a énormément changé, ne serait-ce que sur les 50 dernières années, mais aussi les aliments avec lesquels cette diversification doit démarrer, sans compter les interdictions diverses en fonction des époques.
Tout ça pour vous dire qu’il est possible de relativiser les « conseils » que vous recevez à propos de l’alimentation de votre bébé et vous permettre de ne pas culpabiliser si vous faites partis des parents qui ne font pas tout dans les règles de l’art. Ce que je propose est de regarder et prendre en considération, ce qui se passe du point de vue du bébé, de chaque bébé. En effet l’alimentation est, certes un besoin primaire pour l’enfant, une nécessité à sa survie et à sa croissance, mais c’est aussi une sacrée aventure.
Au début le bébé a un réflexe de succion qui lui permet de téter et donc de se nourrir. Il ressent la faim, mais ne sait pas encore que c’est elle. En fait il s’agit pour lui d’un très grand malaise que certains psychologues qualifient même de grande douleur apparentée à une destruction de son être. Cela cesse lorsqu’il peut téter du lait. Il comprend alors que lorsqu’il est dans cet état, une personne vient à son secours, celle qui le nourrit, et l’apaise en comblant son besoin de nourriture.
La régularité du nourrissage et des autres soins et aussi les caresses, les câlins, les paroles, tout comme le fait de le réchauffer et de la maintenir propre, permettent au bébé de comprendre que cette, ou ces personnes, qui interviennent chaque fois qu’il se sent mal, assurent sa survie. Il s’attache alors à elles. Ce sont ces figures d’attachement qui le sécurisent et lui permettent de construire sa base de sécurité affective. Cette base lui servira de repère affectif pour toute sa vie et pour toutes ses relations et ses apprentissages, puisque c’est à partir d’elle que l’enfant va partir à l’exploration du monde.
Le bébé ressent le monde avant tout. Il en perçoit les couleurs, les odeurs, les formes et les textures par ses sens, à la fois présents et très opérationnels, même avant la naissance. De ce fait tout aliment est pour lui une nouveauté sensorielle à expérimenter. Entre 4 et 6 mois, il existe ce que l’on nomme l’ouverture des papilles gustatives. Ce sont des petits organes placés sur la langue et qui assurent la perception des goûts. Ces derniers sont aussi perçus par le nez. On appelle cela la flaveur. Cette « ouverture » des papilles du bébé correspond au fait que le bébé est en capacité d’apprendre à discriminer et à reconnaitre les différentes saveurs : le sucré (le plus apprécié), le salé, l’amer, l’acide et l’umami (aujourd’hui accepté comme étant le cinquième goût permettant d’apprécier le goût donné par les glutamates consommés surtout dans la cuisine asiatique).
C’est apprentissage se fait d’autant plus facilement que le bébé a aussi un odorat très développé qui lui permet de bien différencier les flaveurs associées aux saveurs. Ainsi plus il aura appris de goûts différents, plus il les reconnaitra et sera en mesure de les apprécier car ils feront partis de son quotidien avant même qu’il commence à se méfier de ce qu’il mange, lorsqu’il deviendra plus autonome.
Apprendre à manger se fait dès le début de la vie. Mais le bébé n’apprend pas seulement à manger, il apprend aussi ce que sont les aliments, quelles formes prennent-ils, comment s’appellent-ils, en quelles matières sont-ils et comment se transforment-ils ? Ainsi malaxer du pain dans ses mains, le sucer et le recracher pour triturer à nouveau permet de comprendre que la matière a changé. On comprend dès lors que manger est aussi un jeu pour les bébés.
Et donc que les vieux adages : « on ne joue pas avec la nourriture » et « on mange proprement » seront difficiles à faire respecter à un bébé qui n’aura de cesse que de patouiller dans la nourriture pour la découvrir avec l’ensemble de ses sens, et pas seulement ceux du goût et de l’odorat. Mais les recherches ont montré que les bébés qui peuvent toucher les aliments, quitte à se salir, ont plus de facilités à les apprendre grâce à cette multi modalité sensorielle et qu’ils ont aussi moins de risques de développer des dégoûts et phobie alimentaires. Le manger proprement s’apprend donc un peu plus tard, après avoir appris l’utilisation des couverts.
Un bébé ne mange pas encore seul. Le repas est donc aussi une aventure relationnelle puisqu’il est nourri par une personne qui prend soin de lui. Partager ce bon moment en tête à tête avec l’adulte qui le nourrit est aussi un plaisir et l’occasion d’une discussion, même si la conversation est plutôt à sens unique. Mais le bébé réagit et apprend déjà à repérer que l’intonation de la voix de l’adulte est différente en fin de phrase et que cela signifie que son tour de parole est terminé et donc qu’il est temps pour lui de réagir et de babiller pour faire faire entendre sa voix et s’essayer à la conversation.
Ce à quoi l’adulte répond naturellement sur le registre du sourire, du compliment ou d’une remarque sur l’appréciation de la nourriture. Il s’agit ainsi d’un face à face dans lequel l’enfant apprend à prendre sa place dans un échange de communication verbale et non verbale, basé sur le plaisir, celui de manger et d’interagir.
Dès qu’il commence à prendre une cuillère, le bébé entre dans l’aventure sociale des repas. Il imite, il essaie, il devient un peu moins dépendant de l’adulte qui le laisse faire son expérience et son apprentissage à la manipulation d’un des outils avec lesquels nous mangeons, dans notre société. En fait le bébé apprend déjà les codes sociaux qui sont autour de la nourriture. Cela concerne le lavage des mains avant et après manger, la serviette/bavoir nouée autour du cou, les ustensiles utilisés, la manière de se servir, etc.
A la crèche cette socialisation autour des repas se fait avec les autres enfants et passe aussi par l’autonomie de l’enfant qui agit sur le déroulement de son repas : il comprend qu’il doit passer par le lavage des mains avant d’aller à table, rituel incontournable. Il va chercher sa serviette et essaie de l’enfiler seul (c’est plus facile s’il s’agit d’un élastique). Il choisit sa place à table. Il peut apprendre à se servir et à proposer les plats aux autres. Il peut aussi manger le repas dans le sens qui l’intéresse le plus lorsqu’il s’agit de plateau repas, etc. Cet apprentissage social vient s’ajouter à celui donné par ses parents. Et s’il est différent ce n’est pas un problème. Au contraire, c’est une richesse supplémentaire car l’enfant apprend ainsi qu’il existe des différences au niveau des repas, comme il en existe dans tous les environnements qu’il rencontre.
Le monde est pluriel et le bébé qui cherche sans cesse à reconnaitre ce qui est identique, de ce qui est différent, a ici de quoi apprendre !
Ainsi l’alimentation d’un bébé peut se regarder autrement que sur le plan biologique ou diététique. Elle est une véritable aventure avec de nombreux apprentissages. Et, comme tous les apprentissages, ils se composent d’une successions d’erreurs et de difficultés à dépasser, tant par le bébé que par ses parents ou les adultes qui s’occupent de lui. Alors prenons du recul par rapports aux conseils et contradictions de tous ordres et prenons l’alimentation du bébé comme une aventure avec ses hauts et ses bas.